The bank Depository 2021-2022 © Gregory Crewdson/courtesy galerie Templon
The bank Depository 2021-2022 © Gregory Crewdson/courtesy galerie Templon

Gregory Crewdson, Eveningside
22.02 ... 18.05.2025

Téléchargez le dossier presse ici

Inauguration : samedi 22 février à 11 h

Exposition organisée en partenariat avec la galerie Templon.
Commissariat : Sylvain Besson
 
Le musée remercie Gregory Crewdson, la galerie Templon, en particulier Anne-Claudie Coric, directrice générale, Yorgos Kotsakis, Les Amis du musée Nicéphore Niépce.

The Departure 2021- 022 © Gregory Crewdson/courtesy galerie Templon
The Departure 2021- 022 © Gregory Crewdson/courtesy galerie Templon

Si la photographie nous apparaît comme une évidence, composée d’une succession de signes qui nous « parle » alors qu’il est toujours plus facile de produire des clichés, Gregory Crewdson [né en 1962 à Brooklyn] nous inonde d’indices pour mieux nous perdre, nous piéger, nous obliger à regarder et à nous questionner.

Conclusion d’une trilogie initiée avec Cathedral of Pines [2014] et poursuivie avec An Eclipse of Moths [2018-2019], Eveningside [2021-2022] achève un cycle centré sur les lieux où Gregory Crewdson a grandi et dont ils connaissent chaque recoin. Comme pour ses travaux antérieurs, Crewdson déploie dans ces trois séries d’importants moyens techniques, ceux habituellement mis au service du cinéma. Fort d’une équipe de près de vingt personnes, le photographe propose des scénarios, élabore des mises en scène savamment orchestrées, use de nombreux effets spéciaux [lumière, fumée, etc.] pour renforcer les atmosphères qu’il souhaite créer. La longue phase de postproduction achève de donner à ses séries leur ambiance singulière, leur cohérence, leur caractère implacable. Invariablement, les photographies de Crewdson interrogent et ne s’offrent pas au regardeur: « Je tiens à ce que la question reste toujours ouverte. Sans réponse. D’une certaine manière, c’est le cas pour n’importe quelle photographie: jamais aucune photo ne révèle entièrement sa signification ».1

Le temps semble comme suspendu, un arrêt sur image où Crewdson condense tous les éléments d’un film dans une seule photographie: «Ce que je veux, c’est que le spectateur soit immergé dans un univers, celui de l’image, comme dans un bon film ou dans n’importe quelle œuvre d’art » 2 . Dès lors, Crewdson installe le regardeur dans la position du photographe voire du voyeur: le format, les détails, les symboles qui se répondent d’une photographie à l’autre, d’une série à l’autre invitent à l’observation, à l’immersion, à chercher du sens tout en se tenant en retrait.

Le fil de conducteur de la trilogie est la distance: celle de l’être humain avec la nature, celle entre les êtres et celle de ces derniers avec la société. Série en couleurs, Cathedral of Pines, inaugure l’ensemble et est la plus intime. Réalisée à Becket, là où Crewdson a grandi et vit désormais avec sa compagne, Cathedral of Pines montre des êtres sidérés devant la déliquescence de la société qui les entoure, ces villes moyennes du Nord-Est des États-Unis à la limite de la ruralité. Si les moyens sont ceux du cinéma, les compositions évoquent la peinture classique, en particulier les scènes d’intérieur. La nature est omniprésente et semble reprendre ses droits sur une civilisation en déliquescence. Toujours en couleurs, la série suivante, An Eclipse of Moths, multiplie les références à la littérature [Moby Dick notamment] et fait écho, à travers le nom des rues, à plusieurs présidents américains. Les prises de vues sont réalisées à Pittsfield, à 20 km de Becket, où a grandi la compagne du photographe, ville profondément marquée par la fermeture des usines et les scandales de pollution des sols. L’échec du mythe du Progrès et du rêve américain est patent: les êtres errent comme des fantômes, sont comme absents, perdus, atterrés par les promesses non tenues de leurs dirigeants. Avec Eveningside, les nombreux effets de miroirs et de reflets, les jeux de regards, le titre même des photographies concourent à aborder plus frontalement le rapport des êtres en société. La ville est factice, Becket et Pittsfield sont photographiés, décomposées puis « créées de toute pièce en postproduction. Le terrain est donc familier, mais légèrement décalé, ajoutant du trouble au trouble. Les êtres sont comme identifiés à leur fonction, résignés dans leur condition. Pour le critique Jean-Charles Vergne, « Les individus d’Eveningside, cette ville « du côté du déclin », forment une société sans même en prendre conscience. […] Eveningside constitue l’ultime strate d’un subtil dégradé de l’intime vers le sociétal où le consensus a été vaporisé par un consentement forcé »3 . Le noir et blanc ajoute à la nostalgie d’un idéal égaré en chemin, même si chaque crépuscule appelle le renouveau du jour à venir et que certains clichés évoquent, sinon l’optimisme, du moins l’espoir d’une « échappée » 4 .

Pour cette exposition, le musée Nicéphore Niépce a fait le choix de montrer la série Eveningside aux côtés d’une photographie de chaque série qui la précède dans la trilogie, rendant compte ainsi de la cohérence du corpus et la continuité dans les œuvres de Crewdson entre 2014 et 2022. Si, dans chaque photographie, le temps semble suspendu, voire quasi absent, il n’en est rien: les lieux sont les mêmes, mais les modèles sont récurrents et vieillissent d’une série à l’autre. De fait, une mécanique temporelle est bien à l’œuvre dans la production du photographe, alors même que Crewdson place ses sujets dans « un moment de tergiversation, d’attente, un entre-deux entre un « avant » et un « après ». Une forme de paralysie psychologique » 5. Avec Gregory Crewdson, la photographie a tous les atours du documentaire: elle nous happe par les détails omniprésents, les compositions soignées, le cadrage précis, la lumière. Elle invite à la contemplation. Pourtant, elle n’est que fiction et rapidement le piège se referme: abreuvés de signes discrets, nous ne pouvons que créer des liens, inventer de nouvelles fictions dont les photographies de Crewdson seraient la source, démontrant, si cela était encore nécessaire, la puissance évocatrice du médium.

 1. Interview de Gregory Crewdson par Cate Blanchett, in Alone in the Street, Éditions Textuel, Paris, 2021  2. Op. cit.  3. Jean-Charles Vergne in Eveningside, Gallerie d’Italia, Skira, Milan, 202  4. Op. cit.  

Gregory Crewdson est né en 1962 à Brooklyn, New York. Il vit et travaille à New York et dans le Massachusetts. Il est diplômé de SUNY Purchase, New York, et de la Yale School of Art, New Haven, où il est maintenant professeur et directeur d’études supérieures en photographies. Figure majeure de la photographie américaine, il met en scène ses photographies comme des films avec acteurs, décors, accessoiristes, storyboards, maquilleurs comme une manière d’évoquer la face noire du rêve américain, mais aussi ses propres drames psychologiques.

The Lounge 2021-2022 © Gregory Crewdson/courtesy galerie Templon
The Lounge 2021-2022 © Gregory Crewdson/courtesy galerie Templon
Madelin's Beauty Salon 2021-2022 © Gregory Crewdson/courtesy galerie Templon
Madelin's Beauty Salon 2021-2022 © Gregory Crewdson/courtesy galerie Templon
Cleaning Service 2021-2022 © Gregory Crewdson/courtesy galerie Templon
Cleaning Service 2021-2022 © Gregory Crewdson/courtesy galerie Templon