Bertrand Meunier Municipalité autonome de Chongqing avril 2000 © Bertrand Meunier, Tendance Floue
Bertrand Meunier Municipalité autonome de Chongqing avril 2000 © Bertrand Meunier, Tendance Floue

Bertrand Meunier,
Erased
17 juin ... 17 septembre 2023
inauguration : mercredi 14 juin 2023 à 18h30

Commissariat de l’exposition : Sylvain Besson, Bertrand Meunier
Exposition co-produite avec le musée de la Photographie de Charleroi.

Avec le soutien de Picto Foundation.
Le musée remercie : Les Amis du musée Nicéphore Niépce, Canson

Un livre accompagne l’exposition : Bertrand Meunier, Erased,
texte, Pierre Haski, Atelier EXB, Paris, 2023

Présentation de l’exposition à la presse :
vendredi 16 juin, 18 h, en présence de Bertrand Meunier, Pierre Haski, Sylvain Besson et des partenaires.

Visite commentée de l’exposition par Bertrand Meunier et Pierre Haski :
samedi 17 juin, 14 h 30
Réservation conseillée : 03 85 48 41 98
[gratuite]

Téléchargez le dossier presse ici

Membre du collectif Tendance Floue, prix Niépce en 2007, Bertrand Meunier est le parfait représentant de cette photographie documentaire française au regard décalé, au style cinématographique, attachée à la photographie argentique, pour qui le médium est un outil de compréhension du monde avant d’être une technique d’enregistrement. Depuis ses débuts à l’agence VU’ et les commandes de Newsweek et Libération , le photographe a affiné son approche. Son exigence et sa rigueur offrent au regardeur une vision du monde sans fioritures, qui invite au questionnement et à la réflexion.
Bertrand Meunier a confié son fonds photographique au musée en 2021 et a invité l’institution chalonnaise à revisiter avec lui ses archives.

L’exposition Erased propose en quelque 80 tirages argentiques, des vidéos, des installations, des coupures de presse, un regard renouvelé sur le travail au long cours, mené par le photographe en Chine de 1999 à 2019. Bertrand Meunier a, par des séjours réguliers, su saisir les transformations de la Chine durant les vingt dernières années, de l’intégration de cette dernière à l’Organisation Mondiale du Commerce [2001] aux manifestations à Hong-Kong de 2019-2020, avant que l’épidémie de COVID ne ferme le pays aux étrangers.
Un texte du journaliste Pierre Haski [correspondant pour Libération en Chine durant six ans pendant les années 1990], accompagnera un livre dédié au travail « chinois » de Bertrand Meunier [aux éditions EXB] et servira de fil conducteur à la scénographie de l’exposition.

Bertrand Meunier Place centrale du quartier de Zhongshan, Shenyang, province du Liaoning décembre 2005 © Bertrand Meunier, Tendance Floue
Bertrand Meunier Place centrale du quartier de Zhongshan, Shenyang, province du Liaoning décembre 2005 © Bertrand Meunier, Tendance Floue
Bertrand Meunier Lanzhou, province du Gansu juillet 2000 © Bertrand Meunier, Tendance Floue
Bertrand Meunier Lanzhou, province du Gansu juillet 2000 © Bertrand Meunier, Tendance Floue

La photographie est faite d’exactitude, de fidélité dans la reproduction du réel. Le photojournaliste capte le monde pour montrer, pour dénoncer et pour rendre compte. Membre du collectif Tendance Floue, Bertrand Meunier est en apparence dans cette logique. Pourtant, sa photographie est le contraire du [photo-] reportage. Même si ses clichés furent, un temps, publiés dans les magazines et les journaux [Newsweek  ou Libération principalement] et qu’il fut diffusé par l’agence VU’ au début des années 2000, ils ne répondent à aucune des injonctions de la presse. Bertrand Meunier est un photographe du temps long, du noir et blanc, qui se refuse aux images « faciles ». Pour chacun des pays qu’il choisit de photographier, ce sont des séjours répétés, répartis sur plusieurs années, durant lesquels il va tourner obstinément autour de ses sujets, où sa subjectivité et son ressenti occupent toute la place.

Erased est le grand œuvre de Bertrand Meunier. Depuis 1997 qu’il se rend en Chine, il a photographié la disparition progressive du monde paysan au bénéfice de l’industrie puis le remplacement progressif de cette dernière par l’économie tertiaire et les nouvelles technologies. Avec Erased , il nous montre les profondes transformations de la Chine de ces trente dernières années, sous l’impulsion du Parti communiste et les directions successives de Jiang Zemin [1989-2002], Hu Jintao [2002-2012] et Xi Jinping [depuis 2012]. Erased accompagne les mutations de la société chinoise, les ouvertures et fermetures successives au capitalisme, le contrôle de la population de plus en plus marqué, les conséquences sociales et humaines des décisions du Parti qui autorisent la Chine d’aujourd’hui à se considérer l’égal des États-Unis aux niveaux économiques, diplomatiques et militaires, à l’instar de l’U.R.S.S. d’autrefois.
Le monde est complexe et Bertrand Meunier s’efforce d’en rendre compte. La Chine nous semble lointaine. Mais chaque jour, l’Occident consomme chinois, nos dirigeants composent avec le régime, les grandes réformes successives menées par le Parti contribuent à [re]placer la Chine au  cœur des enjeux géopolitiques les plus cruciaux de notre temps. Erased est, en ce sens, essentiel pour appréhender le monde d’aujourd’hui. À défaut de nous donner des clés pour comprendre la Chine, cet œuvre au long court nous expose, sans concession, la résilience d’un peuple aux injonctions d’un parti dirigeant tout puissant Bertrand Meunier nous invite à nous projeter dans ses photographies pour que nous fassions corps avec les protagonistes, pour que les cultures asiatiques, et la culture chinoise en particulier, nous concernent et nous interpellent.
Les photographies de Bertrand Meunier ne sont pas spectaculaires : aucun évènement historique, aucun tremblement de terre, aucune manifestation, ou alors, par accident ou [presque] par hasard. Bertrand Meunier ne recherche pas le scoop mais se positionne au niveau de la rue, s’approche au plus près des personnes et tente de capter les effets de la corruption et des décisions centrales mal appliquées ou biaisées à mesure que l’on s’éloigne des centres de pouvoir. En noir et en niveau de gris, il photographie le quotidien de la Chine. Peu importe la succession de dirigeants, des changements brutaux que ces derniers imposent à la population, l’être humain s’adapte, vit, survit, ploie, contourne, détourne. En ce sens, ces clichés sont universels et, dans une société toujours plus corsetée, la résilience se révèle. La crainte aussi, parfois. Meunier nous fait « rentrer » dans une société qui pourrait être la nôtre [ou l’est déjà, ou est en passe de le devenir] : modifications des paysages et déplacement de population [le barrage des Trois-Gorges à partir de 2003], corruption et scandales [celui du sang du Henan, années 1990], surveillance accrue des populations, répression des contestations [Révolution des parapluies à Hong Kong, 2014], etc. Jusqu’au COVID, quand, de fait, Bertrand Meunier n’a pu se rendre en Chine. Pour autant, ses clichés concourent à nous rendre évidents les atermoiements de la classe dirigeante chinoise pour communiquer sur la gravité de la pandémie, ses hésitations quant au confinement avant la soudaine et radicale politique répressive du « zéro COVID » puis la fin aussi subite que brutale de cette politique et le refus de vaccins étrangers.
 
Bertrand Meunier reste fidèle à la technologie argentique, à la lenteur qu’elle induit et qu’il affectionne particulièrement. Il utilise des films extrasensibles et produit des tirages argentiques le plus souvent dans le format traditionnel du 40 x 60 cm, qu’il aime à assembler en mosaïque au bénéfice de la narration. Les sujets évoluent devant nous, en apparence indifférents aux contraintes de leur temps et au photographe. Il en résulte une œuvre cohérente et homogène, comme une séquence quasi sans fin d’un film qui durerait depuis 20 ans ; d’ailleurs, le qualificatif « cinématographique » revient régulièrement lorsque l’on évoque le travail de Meunier. Les photographies sont denses, presque charbonneuses. Pour les paysages, les plans sont larges et des personnages semblent les traverser comme des fantômes, tandis que pour les portraits, les cadrages sont resserrés, les expressions comme en suspens. Meunier égrène des immeubles à moitié détruits, des bras et des dos qui portent, des visages tendus mais aussi des partages et des échanges de regards, des références au cinéma nombreuses. Est proposé au regardeur un avenir apocalyptique fait de ruines autant que de modernité mal maîtrisée et absorbée à marche forcée.

L’être humain survit, l’être humain oppresse. C’est peut-être cela le véritable sujet photographique de Bertrand Meunier, qu’il explore dans chaque lieu visité, en France, en Chine, en Corée du Sud ou au Pakistan. La contrainte, la violence des politiques, voilà le leitmotiv de son œuvre. Les moyens sont différents, les régimes politiques également, mais il est toujours question de contrôle des populations ou de manipulation de la mémoire collective. Sans complaisance, Meunier montre des individus qui vivent, voire survivent, quelles que soient les injonctions de leurs dirigeants.

Le style et l’écriture photographique de l’auteur évacuent tout pathos ou voyeurisme et tentent de faire ressentir la violence de sociétés où des décisions prises par un nombre restreint de personnes ont des effets sur le plus grand nombre. De cette violence, Bertrand Meunier en rend compte par l’absence de couleurs, par la poussière, par les ruines, par les regards, par ses noirs si denses. Ses clichés en deviennent intemporels. De fait, il ne souhaite ni sensibiliser ni concerner mais bien partager ses questionnements. Bertrand Meunier a confié son fonds photographique au musée Nicéphore Niépce en 2021. Nous avons revisité avec le photographe les 3000 planches contact consacrées à la Chine pour proposer cette version de Erased .
Erased ou la disparition de mondes successifs; Erased  ou faire en sorte que ces mondes ne soient pas totalement effacés. En nous prêtant ses yeux emplis de doutes par l’entremise de l’appareil photographique, Bertrand Meunier nous oblige à ouvrir les nôtres. Et à douter, avec lui.
 
Sylvain Besson

Bertrand Meunier Datong, province du Shanxi juin 1997 © Bertrand Meunier, Tendance Floue
Bertrand Meunier Datong, province du Shanxi juin 1997 © Bertrand Meunier, Tendance Floue
Bertrand Meunier Pékin. mars 2007 © Bertrand Meunier, Tendance Floue
Bertrand Meunier Pékin. mars 2007 © Bertrand Meunier, Tendance Floue

En traversant le miroir
[extraits du texte  publié dans l’ouvrage Bertrand Meunier, Erased ]
 
Quelques semaines après  mon installation à Pékin comme  correspondant de Libération ,  à l’été 2000, je pris une décision :  je ne chercherais pas à « expliquer »  la Chine, mais à la « montrer ».  Cela peut sembler étrange pour  un journaliste justement envoyé  dans un pays lointain afin de  décrypter la complexité du monde.  Mais je réalisai très vite que chacune  des facettes de la gigantesque  et historique transformation  chinoise dont j’étais le témoin  était une partie de la réalité,  qui ne permettait pas pour autant  de comprendre ce qui se jouait  globalement. Ma démarche  s’apparentait donc à celle  d’un photographe, dont chaque  cliché a sa vie propre, mais  qui commence à « faire sens »  lorsqu’il est associé aux autres,  sur le temps long.  Un magazine économique chinois  m’a demandé un jour – c’était  une époque où le journaliste occidental n’était pas nécessairement un « ennemi » – de raconter mon travail en Chine pour son numéro de fin d’année. J’y expliquais comment j’avais le sentiment de traverser constamment le miroir entre plusieurs Chines, et que je vivais cela comme un privilège dont les Chinois eux-mêmes sont privés – ou, bien souvent, se privent volontairement.  Je racontais deux moments  de l’année écoulée, un reportage  dans une zone déshéritée  de la Chine rurale, où l’ascenseur social n’était pas encore passé ; et une soirée costumée dans l’univers des start-up de Pékin, où le déguisement le plus fréquent  avait été celui de Garde rouge, les partisans fanatisés de Mao pendant la révolution culturelle. J’exprimais ma perplexité face à ce grand écart de la société chinoise et, surtout, le cynisme de la nouvelle élite pékinoise, dénuée de tout sens de l’histoire.  […]  En deux décennies, j’ai donc vu  la Chine prendre la parole, et  la perdre ; atteindre un développement  économique et une prospérité  qui semblaient inatteignables aussi  vite, et se demander si le prix  à payer n’a pas été trop élevé,  si elle s’en remettra, et comment. Il faut toujours avec la Chine  se garder de jugements trop hâtifs,  de sentences définitives, car  l’Histoire a montré à quel point  elle était imprévisible, éruptive,  et jamais réellement soumise.  Se garder donc de vouloir  l’expliquer à coups de concepts et de théories ; il faut déjà la « voir »,  dans sa complexité, sa diversité,  sa richesse et ses failles. C’est  ce qu’a fait, sur le temps long, avec  son regard et son talent, mon ami  Bertrand Meunier. Il a ainsi fait  œuvre utile. 

Pierre Haski

Bertrand Meunier Fengjie, province du Hubei décembre 2000 © Bertrand Meunier, Tendance Floue
Bertrand Meunier Fengjie, province du Hubei décembre 2000 © Bertrand Meunier, Tendance Floue
Bertrand Meunier Quartier de Fengtai, Pékin avril 2007 © Bertrand Meunier, Tendance Floue
Bertrand Meunier Quartier de Fengtai, Pékin avril 2007 © Bertrand Meunier, Tendance Floue
Bertrand Meunier Quartier de Fengtai, Pékin mars 2007 © Bertrand Meunier, Tendance Floue
Bertrand Meunier Quartier de Fengtai, Pékin mars 2007 © Bertrand Meunier, Tendance Floue
Bertrand Meunier Shenzhen, Guangdong Province December 2019 © Bertrand Meunier, Tendance Floue
Bertrand Meunier Shenzhen, Guangdong Province December 2019 © Bertrand Meunier, Tendance Floue
Bertrand Meunier Pékin mars-avril, août 2019 © Bertrand Meunier, Tendance Floue
Bertrand Meunier Pékin mars-avril, août 2019 © Bertrand Meunier, Tendance Floue
Bertrand Meunier Beijing March-April, August 2019 © Bertrand Meunier, Tendance Floue
Bertrand Meunier Beijing March-April, August 2019 © Bertrand Meunier, Tendance Floue
Bertrand Meunier Place Tian’anmen, Pékin septembre 2001 © Bertrand Meunier, Tendance Floue
Bertrand Meunier Place Tian’anmen, Pékin septembre 2001 © Bertrand Meunier, Tendance Floue
Bertrand Meunier Yichang, Hubei province February 2002 © Bertrand Meunier, Tendance Floue
Bertrand Meunier Yichang, Hubei province February 2002 © Bertrand Meunier, Tendance Floue
Bertrand Meunier Hong Kong décembre 2019 © Bertrand Meunier, Tendance Floue
Bertrand Meunier Hong Kong décembre 2019 © Bertrand Meunier, Tendance Floue
Bertrand Meunier Hong Kong novembre 2019 © Bertrand Meunier, Tendance Floue
Bertrand Meunier Hong Kong novembre 2019 © Bertrand Meunier, Tendance Floue