The bank Depository 2021-2022 © Gregory Crewdson/courtesy galerie Templon
The bank Depository 2021-2022 © Gregory Crewdson/courtesy galerie Templon

Gregory Crewdson, Eveningside
22.02 ... 18.05.2025

Téléchargez le dossier presse ici

Inauguration : samedi 22 février à 11 h

Exposition organisée en partenariat avec la galerie Templon.
Commissariat : Sylvain Besson
 
Le musée remercie Gregory Crewdson, la galerie Templon, en particulier Anne-Claudie Coric, directrice générale, Yorgos Kotsakis, Les Amis du musée Nicéphore Niépce.

The Departure 2021- 022 © Gregory Crewdson/courtesy galerie Templon
The Departure 2021- 022 © Gregory Crewdson/courtesy galerie Templon

Si la photographie nous apparaît comme une évidence, composée d’une succession de signes qui nous « parle » alors qu’il est toujours plus facile de produire des clichés, Gregory Crewdson [né en 1962 à Brooklyn] nous inonde d’indices pour mieux nous perdre, nous piéger, nous obliger à regarder et à nous questionner.

Conclusion d’une trilogie initiée avec Cathedral of Pines [2014] et poursuivie avec An Eclipse of Moths [2018-2019], Eveningside [2021-2022] achève un cycle centré sur les lieux où Gregory Crewdson a grandi et dont ils connaissent chaque recoin. Comme pour ses travaux antérieurs, Crewdson déploie dans ces trois séries d’importants moyens techniques, ceux habituellement mis au service du cinéma. Fort d’une équipe de près de vingt personnes, le photographe propose des scénarios, élabore des mises en scène savamment orchestrées, use de nombreux effets spéciaux [lumière, fumée, etc.] pour renforcer les atmosphères qu’il souhaite créer. La longue phase de postproduction achève de donner à ses séries leur ambiance singulière, leur cohérence, leur caractère implacable. Invariablement, les photographies de Crewdson interrogent et ne s’offrent pas au regardeur: « Je tiens à ce que la question reste toujours ouverte. Sans réponse. D’une certaine manière, c’est le cas pour n’importe quelle photographie: jamais aucune photo ne révèle entièrement sa signification ».1

Le temps semble comme suspendu, un arrêt sur image où Crewdson condense tous les éléments d’un film dans une seule photographie: «Ce que je veux, c’est que le spectateur soit immergé dans un univers, celui de l’image, comme dans un bon film ou dans n’importe quelle œuvre d’art » 2 . Dès lors, Crewdson installe le regardeur dans la position du photographe voire du voyeur: le format, les détails, les symboles qui se répondent d’une photographie à l’autre, d’une série à l’autre invitent à l’observation, à l’immersion, à chercher du sens tout en se tenant en retrait.

Le fil de conducteur de la trilogie est la distance: celle de l’être humain avec la nature, celle entre les êtres et celle de ces derniers avec la société. Série en couleurs, Cathedral of Pines, inaugure l’ensemble et est la plus intime. Réalisée à Becket, là où Crewdson a grandi et vit désormais avec sa compagne, Cathedral of Pines montre des êtres sidérés devant la déliquescence de la société qui les entoure, ces villes moyennes du Nord-Est des États-Unis à la limite de la ruralité. Si les moyens sont ceux du cinéma, les compositions évoquent la peinture classique, en particulier les scènes d’intérieur. La nature est omniprésente et semble reprendre ses droits sur une civilisation en déliquescence. Toujours en couleurs, la série suivante, An Eclipse of Moths, multiplie les références à la littérature [Moby Dick notamment] et fait écho, à travers le nom des rues, à plusieurs présidents américains. Les prises de vues sont réalisées à Pittsfield, à 20 km de Becket, où a grandi la compagne du photographe, ville profondément marquée par la fermeture des usines et les scandales de pollution des sols. L’échec du mythe du Progrès et du rêve américain est patent: les êtres errent comme des fantômes, sont comme absents, perdus, atterrés par les promesses non tenues de leurs dirigeants. Avec Eveningside, les nombreux effets de miroirs et de reflets, les jeux de regards, le titre même des photographies concourent à aborder plus frontalement le rapport des êtres en société. La ville est factice, Becket et Pittsfield sont photographiés, décomposées puis « créées de toute pièce en postproduction. Le terrain est donc familier, mais légèrement décalé, ajoutant du trouble au trouble. Les êtres sont comme identifiés à leur fonction, résignés dans leur condition. Pour le critique Jean-Charles Vergne, « Les individus d’Eveningside, cette ville « du côté du déclin », forment une société sans même en prendre conscience. […] Eveningside constitue l’ultime strate d’un subtil dégradé de l’intime vers le sociétal où le consensus a été vaporisé par un consentement forcé »3 . Le noir et blanc ajoute à la nostalgie d’un idéal égaré en chemin, même si chaque crépuscule appelle le renouveau du jour à venir et que certains clichés évoquent, sinon l’optimisme, du moins l’espoir d’une « échappée » 4 .

Pour cette exposition, le musée Nicéphore Niépce a fait le choix de montrer la série Eveningside aux côtés d’une photographie de chaque série qui la précède dans la trilogie, rendant compte ainsi de la cohérence du corpus et la continuité dans les œuvres de Crewdson entre 2014 et 2022. Si, dans chaque photographie, le temps semble suspendu, voire quasi absent, il n’en est rien: les lieux sont les mêmes, mais les modèles sont récurrents et vieillissent d’une série à l’autre. De fait, une mécanique temporelle est bien à l’œuvre dans la production du photographe, alors même que Crewdson place ses sujets dans « un moment de tergiversation, d’attente, un entre-deux entre un « avant » et un « après ». Une forme de paralysie psychologique » 5. Avec Gregory Crewdson, la photographie a tous les atours du documentaire: elle nous happe par les détails omniprésents, les compositions soignées, le cadrage précis, la lumière. Elle invite à la contemplation. Pourtant, elle n’est que fiction et rapidement le piège se referme: abreuvés de signes discrets, nous ne pouvons que créer des liens, inventer de nouvelles fictions dont les photographies de Crewdson seraient la source, démontrant, si cela était encore nécessaire, la puissance évocatrice du médium.

 1. Interview de Gregory Crewdson par Cate Blanchett, in Alone in the Street, Éditions Textuel, Paris, 2021  2. Op. cit.  3. Jean-Charles Vergne in Eveningside, Gallerie d’Italia, Skira, Milan, 202  4. Op. cit.  

Gregory Crewdson est né en 1962 à Brooklyn, New York. Il vit et travaille à New York et dans le Massachusetts. Il est diplômé de SUNY Purchase, New York, et de la Yale School of Art, New Haven, où il est maintenant professeur et directeur d’études supérieures en photographies. Figure majeure de la photographie américaine, il met en scène ses photographies comme des films avec acteurs, décors, accessoiristes, storyboards, maquilleurs comme une manière d’évoquer la face noire du rêve américain, mais aussi ses propres drames psychologiques.

The Lounge 2021-2022 © Gregory Crewdson/courtesy galerie Templon
The Lounge 2021-2022 © Gregory Crewdson/courtesy galerie Templon
Madelin's Beauty Salon 2021-2022 © Gregory Crewdson/courtesy galerie Templon
Madelin's Beauty Salon 2021-2022 © Gregory Crewdson/courtesy galerie Templon
Cleaning Service 2021-2022 © Gregory Crewdson/courtesy galerie Templon
Cleaning Service 2021-2022 © Gregory Crewdson/courtesy galerie Templon
musée Nicéphore Niépce
28, Quai des Messageries
71100 Chalon-sur-Saône
tel / + 33 (0)3 85 48 41 98
e-mail / contact@museeniepce.com


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© musée Nicéphore Niépce Ville de Chalon-sur-Sâone
Rural Free Delivery Postal Wagon Dodge Center, Minnesot, USA v.1908 © collection privées - AMC
Rural Free Delivery Postal Wagon Dodge Center, Minnesot, USA v.1908 © collection privées - AMC

Will Write Soon
Photos postales du "nouveau" monde
22.02 ... 18.05.2025
vernissage : samedi 22 février à 11h

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Exposition réalisée par Archive of Modern Conflict [AMC] et le Centre d’Art GwinZegal
 
Commissariat de l’exposition: Luce Lebart [AMC]
Scénographie, montage : équipe du musée Nicéphore Niépce
Toutes les images: © collection privée – AMC
 
Publication aux éditions
GwinZegal et AMC
Will Write Soon
par David Thomson
17 x 24 cm
couverture souple
184 pages
30 €
ISBN : 9791094060452

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C’est dans les méandres de la vie quotidienne des villages et des campagnes d’Amérique du Nord au début du XXe siècle que nous entraînent ces centaines de photographies issues d’un registre insolite. En anglais, on les appelle « real photo postcard » [RPPC] et en français, « carte photo ». Elles sont à mi-chemin entre photographie argentique et cartes postales. Ce sont des tirages originaux [de vraies photographies et non pas des images imprimées] dont le verso comporte un espace pour y apposer une adresse, un timbre, ainsi que, à partir de 1907, quelques mots. Avant cette date, seule l’adresse était autorisée au dos des cartes, et les messages étaient alors écrits directement sur l’image ou bien autour d’elle.
 Envoyer une image de chez soi, une photographie que l’on a faite soi-même ou dont on a fait l’acquisition auprès d’un photographe de passage ou de celui du village : cette pratique connaît un engouement populaire extraordinaire entre 1905 et 1915 dans les zones rurales de l’Amérique profonde. Ce boom de la carte photo est triplement favorisé : par la simplification de l’accès à la pratique photographique, par la baisse remarquable des coûts d’envoi, et enfin par la modernisation et la gratuité des livraisons postales. Les livraisons sont fréquentes, ce dont témoignent les cachets postaux. Ainsi, une carte envoyée d’un village à l’autre pouvait parvenir à destination le jour même ou le lendemain. À un moment où les foyers américains sont loin d’être tous équipés de téléphone, les cartes photo deviennent les liens visuels et verbaux entre des générations d’Américains, qui, souvent nouvellement installés, vivent loin des grandes villes.
« Je serai de retour jeudi si tout se passe bien. » ; « Le chien est malade. Il a dû être éthérisé. » ; « C’est là que je passe la plupart de mon temps. » ; « Comment sont ces photos que tu as prises de nous ? » ; « Là où il y a une croix, c’est mon cousin. » ; « La tempête est passée pas loin mais elle nous a épargnés. ».
 
L’exposition Will Write Soon met en avant les qualités esthétiques et documentaires de près de 250 photographies qui ont le plus souvent été prises par des amateurs. La matérialité de ces souvenirs timbrés du quotidien est soulignée, et le dos des images est donné à voir.
 
L’exposition Will Write Soon repose sur la collection de cartes photographiques constituée par le collectionneur et auteur David Thomson, qui en livra une première vision originale dans son livre Dry Hole publié en 2022 chez Morel Books et AMC. Will Write Soon prolonge cet ouvrage en proposant cette fois une rencontre avec les images « telles qu’elles sont ».

Bootleggers North America 1920-1929 © collection privée - AMC
Bootleggers North America 1920-1929 © collection privée - AMC
Restaurant Staff North America 1904-1929 © Collection privée - AMC
Restaurant Staff North America 1904-1929 © Collection privée - AMC
Store Closing Sign, Bush Pairie Washington, USA, 25 octobre 1912 © collection privée - AMC
Store Closing Sign, Bush Pairie Washington, USA, 25 octobre 1912 © collection privée - AMC

Bureau de poste
 
« Post office ». Ces mots sont peints en lettres majuscules blanches sur le toit d’un baraquement de fortune, une construction en bois posée à même le sol en terre battue. Sous l’appentis et à quelques mètres d’écart l’un de l’autre, un homme et une femme − deux employés du service postal ? — ont pris une pose improvisée.
 Semblant tout droit sorti d’un western, ce bureau de poste ressemble à ceux que l’on rencontrait dans les petits villages ou bien encore aux croisements de routes traversant des terres moins peuplées. Ceux-ci restèrent pendant longtemps les maillons forts des liens entre les ruraux et l’extérieur. On s’y rendait à pied, à dos de mule ou à cheval, pour y chercher et y apporter son courrier.
En 1903, année de l’introduction par Kodak de son appareil spécifiquement conçu pour les cartes photos, environ 7,5 millions de cartes postales ont été envoyées aux États-Unis. En 1906, les cartes postales à 1 penny, et parmi elles les cartes photo, ont généré une augmentation de 35% du volume du courrier envoyé par voie postale dans le pays.

Post Office  and Hanging Laundry North America 1904-1918 © collection privée – AMC
Post Office and Hanging Laundry North America 1904-1918 © collection privée – AMC
Women by Farm House North America  1904-1929 © collection privée – AMC
Women by Farm House North America 1904-1929 © collection privée – AMC
Panning for Gold Phoenix,  Arizona, USA 24 juillet 1912  © collection privée – AMC
Panning for Gold Phoenix, Arizona, USA 24 juillet 1912 © collection privée – AMC

Waiting for U
 
Postée le 30 novembre 1906 depuis le petit village d’Ansonia, dans le comté de Darke, à l’ouest de l’Ohio, cette carte photo a parcouru plus de 2000 kilomètres à vol d’oiseau pour rejoindre le Colorado. Au dos de la carte, le nom et l’adresse du destinataire « Mrs H. Wolf, 1820 Hill Street, Boulder » apparaissent sous le timbre et les mentions d’usage « Côté réservé à l’adresse » et « Carte postale ».
À côté de la photographie, les quelques mots sans fioritures sont bien à l’image de ceux qui jalonnent les correspondances privées des cartes photo. En lien avec des images du quotidien et plus particulièrement de « chez soi », s’y expriment l’attente d’êtres proches, comme le désir de se voir ou de se revoir: « Maman envoie ses meilleures salutations et dit qu’elle t’attend » ; « Tu reviens quand? » ; « Venez nous rendre visite ».
Souvent rédigés à la hâte et dans des espaces limités, les écrits des cartes photos ressemblent à ceux des SMS contemporains [Short Message Service]. Les mots eux-mêmes sont raccourcis et remplacés par des lettres: « You » devient « U » dans « Watling for U » de cette carte d’Ansonia.

Railroad Depot and Tower Ansonia,  Ohio, USA 30 novembre 1906 © collection privée – AMC
Railroad Depot and Tower Ansonia, Ohio, USA 30 novembre 1906 © collection privée – AMC
Railroad Depot and Tower Ansonia,  Ohio, USA 30 novembre 1906 © collection privée – AMC
Railroad Depot and Tower Ansonia, Ohio, USA 30 novembre 1906 © collection privée – AMC

Home Sweet Home ?

Les messages courts, injonctions, assertions ou exclamations qui complètent les images, en infléchissent parfois la lecture. C’est le cas d’une carte photo d’une plaine aride qui, photographiée depuis un point de vue légèrement en hauteur, semble s’étendre vers l’infini. En son centre, trois éléments contrastent avec sa platitude: une maison en bois semblant encore en construction, une grange et une calèche sans cheval. Aucune âme qui vive dans ce paysage hivernal. Le propriétaire est absent, et pour cause, il est probablement en train de prendre la photographie, à moins qu’elle n’ait été arrachée au temps et à l’espace par un opérateur de passage?
Une chose est sûre, l’ajout sous l’image d’un point d’interrogation à la locution « Home Sweet Home? » rappelle l’âpreté des situations auxquelles sont confrontés ceux qui s’installent. L’origine de cette formule idiomatique, qui évoque la douceur du foyer domestique, remonte aux paroles de la chanson [1823] du poète et acteur américain John Howard Payne. La formule apparaît régulièrement sur les cartes photo, au moins autant que le « J’habite ici maintenant » mais pas aussi fréquemment que la promesse répétée du « Je t’écris vite ».

Tar Shack on the Prairie,  Home Sweet Home? North America 1904-1918 © collection privée – AMC
Tar Shack on the Prairie, Home Sweet Home? North America 1904-1918 © collection privée – AMC
The New Red Barn North America 1904-1929 © collection privée – AMC
The New Red Barn North America 1904-1929 © collection privée – AMC
Native American Woman  Outside Wooden Home Valle Vista,  California, USA 1906 © collection privée – AMC
Native American Woman Outside Wooden Home Valle Vista, California, USA 1906 © collection privée – AMC
“The Row” Mining Camp  Cabins Keswick California, USA 21 juin 1907 © collection privée – AMC
“The Row” Mining Camp Cabins Keswick California, USA 21 juin 1907 © collection privée – AMC
“Wapsie” Wapsipinicon River McIntire,  Iowa, USA,  1904-1918 © collection privée – AMC
“Wapsie” Wapsipinicon River McIntire, Iowa, USA, 1904-1918 © collection privée – AMC

« Ici » et « là»
 
S’il est un sujet qui revient régulièrement dans les correspondances photographiques, c’est bien ce que l’on vient de faire, ou bien ce que l’on s’apprête à faire, le tout étant lié à l’endroit où on est et où on vit à ce moment même, c’est-à-dire quand on s’écrit: «C’est là que je passe la plupart de mon temps», «C’est ici que je vis désormais».
Dans les images, un signe en forme de croix, manifestation visuelle des adverbes de lieu « ici » et « là», les remplace. « Là où il y a une croix, c’est mon cousin. » La flèche joue parfois le rôle de la croix, comme dans cette carte dessinée au dos de la photographie d’une cabane en rondins perdue entre l’Idaho et le Dakota du Sud, dans une forêt du Wyoming. Sur la carte, la flèche désigne ici l’endroit où la photographie a été prise: « Photo prise ici ».

Homestead North America 1913-1929 © collection privée – AMC
Homestead North America 1913-1929 © collection privée – AMC
Thompson Boys’ Log Cabin” Crook County,  Wyoming, USA 1904-1918  © collection privée – AMC
Thompson Boys’ Log Cabin” Crook County, Wyoming, USA 1904-1918 © collection privée – AMC
Thompson Boys’ Log Cabin” Crook County,  Wyoming, USA 1904-1918  © collection privée – AMC
Thompson Boys’ Log Cabin” Crook County, Wyoming, USA 1904-1918 © collection privée – AMC

Trophées

Une paire de souliers semble sortie d’une des peintures de Van Gogh réalisées trente ans plus tôt. Ou bien annonce-t-elle celle dont Charlot fera son souper deux décennies plus tard dans La Ruée vers l’or ? Difficile de ne pas penser au photographe Robert Frank en regardant cette image dans laquelle l’écrit et l’image fusionnent. Les mots « Vendues », « Deux ans de service » ont été inscrits sur le négatif. Ici, la gélatine argentique a été creusée grâce à une pointe et ils apparaissent en noir. Là, ils ont été dessinés avec un vernis opaque qui obstrue le passage de la lumière et fait apparaître les lettres en blanc sur le tirage.

Ces godillots sans lacets, chaussures de travail épuisées faites de bosses et de creux, ont été usés jusqu’à la corde. La photographie n’évoque pourtant pas la misère mais plutôt la fierté, on exhibe ces chaussures comme des trophées, hommage au courage face à la dureté des conditions de vie et du travail agricole ou de la mine, hommage encore à ceux qui sont sur les routes et se déplacent. Encore un exemple qui rappelle combien les cartes photo ne reflètent pas la vie ni le quotidien de la haute société, mais plutôt des catégories sociales moins privilégiées, classes moyennes ou populaires qui n’ont que peu d’accès ou de liens avec d’autres types d’imageries ou de moyens de communication.

Action Sale on the Farm Superior, Nebraska, USA 1900-1907  © collection privée – AMC
Action Sale on the Farm Superior, Nebraska, USA 1900-1907 © collection privée – AMC
Action Sale on the Farm Superior, Nebraska, USA 1900-1907  © collection privée – AMC
Action Sale on the Farm Superior, Nebraska, USA 1900-1907 © collection privée – AMC
Hunters with Muskrat Pelts Tipton, Indiana, USA 11 novembre 1923 © collection privée – AMC
Hunters with Muskrat Pelts Tipton, Indiana, USA 11 novembre 1923 © collection privée – AMC
 Wayland to Cohocton Steuben County,  New York, USA 5 novembre 1915  © collection privée – AMC
Wayland to Cohocton Steuben County, New York, USA 5 novembre 1915 © collection privée – AMC
“Dry Hole” Oil Well North America 1912  © collection privée – AMC
“Dry Hole” Oil Well North America 1912 © collection privée – AMC
Farmers in Grassy Field North America 1904-1918  © collection privée – AMC
Farmers in Grassy Field North America 1904-1918 © collection privée – AMC

Une pratique féminine

Plusieurs cartes photo témoignent d’une pratique féminine répandue au tout début du XXe siècle dans les zones rurales d’Amérique du Nord. Telle image envoyée par « Elisabeth » à sa « Cousine Sarah » a parcouru près de 5000 kilomètres. Elle a été envoyée de Concord en Californie sur la côte ouest, à Vermont, à l’autre bout du pays, sur la côte nord-est. Dans l’espace vierge réservé sous l’image, Elisabeth explique qu’il s’agit de son premier essai de carte photo faite entièrement par elle. Comme l’inventeur de la photo Nicéphore Niépce quatre-vingts ans plus tôt, la jeune femme a photographié ce qu’elle voit depuis sa maison, « c’est la vue juste devant notre maison ». Elle promet ensuite d’envoyer aussitôt une image montrant cette fois la maison elle-même. La photo[1]graphe a ici utilisé un papier cyanotype produisant des images bleues. Ces papiers cyanotypes furent proposés comme alternative aux teintes gris-noir des papiers gélatino-argentiques. Les cyanotypes postaux restèrent populaires jusque dans les années 1920. Ils étaient simples à produire, leur traitement se réduisant à un rinçage.

Pastoral Landscape Concord,  New Hampshire, USA 15 août 1908 © collection privée – AMC
Pastoral Landscape Concord, New Hampshire, USA 15 août 1908 © collection privée – AMC

Désastres
 
Les événements funestes sont une manne pour certains photo[1]graphes, qui en tirent profit en les produisant en quantité avant de les commercialiser. Chacun peut ainsi les partager avec des proches plus ou moins lointains. Ici, l’incendie d’un garage ou celui d’un immeuble; là, le déraillement d’un train ou encore les dégâts matériels ou humains causés par un cyclone, une tornade, une tempête ou une avalanche.
Lorsque l’engouement pour les cartes postales photographiques s’empare de l’Amérique rurale au début du XXe siècle, les images photographiques commencent tout juste, grâce à la similigravure, à s’immiscer dans les textes des journaux. À la même époque, en 1905, les services postaux mettent en placent un tarif extrêmement favorable à l’envoi de cartes photos [de l’ordre de un penny]. À cette mesure s’ajoute la généralisation, en 1906, du principe de rural free delivery.
Pour accéder à leur courrier, ceux qui habitent loin des villes n’ont désormais plus nécessairement à se rendre au bureau de poste lointain qui leur est attribué. On peut désormais recevoir des images postales chez soi. C’est alors le moyen le plus rapide de faire parvenir de l’information, de « l’actualité en images » dans les campagnes. Les photographes en eurent l’intuition lorsqu’ils stimulèrent l’utilisation de la carte photo dans ce sens, bien avant que la radio ne pénètre les foyers.

Industrial Fire North America 1904-1918 © collection privée – AMC
Industrial Fire North America 1904-1918 © collection privée – AMC
musée Nicéphore Niépce
28, Quai des Messageries
71100 Chalon-sur-Saône
tel / + 33 (0)3 85 48 41 98
e-mail / contact@museeniepce.com


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© musée Nicéphore Niépce Ville de Chalon-sur-Sâone
© Prune Phi, "Bottoms up", photographie numérique, 2025 Iconographie / collections musée Nicéphore Niépce
© Prune Phi, "Bottoms up", photographie numérique, 2025 Iconographie / collections musée Nicéphore Niépce

Prix impression photographique des Ateliers Vortex :
Prune Phi, Bottoms up
22.02 ... 18.05.2025
vernissage : samedi 22 février à 11h

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Dans un travail mixant sculptures, objets et photographies, Prune Phi explore les traces, les points d'ancrage, les lacunes de ce qui fait mémoire. L'interpénétration de souvenirs individuels et collectifs, de photographies de famille, d'imagerie officielle et d'objets exotisants devenus ordinaires, matérialise la complexité d'un récit de l'immigration vietnamienne.
 
"Bottoms up" (2025) est une installation composée d’étagères, d’un vaisselier, de verres à saké, d’images personnelles et d’archives collectées au Musée Nicéphore Niépce abordant l’invisibilisation des corps et des récits liés aux diasporas vietnamiennes dans le sud de la France.
 
La Rizière  était le nom du restaurant de mes grands-parents dans l’Aude. Je me souviens des bols en porcelaine aux motifs bleus reposant sur les tables, de l’odeur chaleureuse du riz cuit se mêlant à la nausée des haleines imprégnées de saké. Là, le riz est consommé non seulement comme aliment, mais aussi comme objet de fétichisation et de rituel. Les plats sont associés à de l’alcool de riz, servi dans des verres à saké ornés d’images kitsch de corps asiatiques cachés — reflétant le regard occidental tout en déformant leur signification culturelle.
 
Pendant ma résidence, j’ai exploré les archives liées aux origines des rizières en France, le rôle des travailleurs forcés indochinois dans l’introduction de la riziculture lors de la Seconde Guerre mondiale en France. La recherche m’a emmené plus loin, je me suis intéressée aussi à ce qui fait écho : les plats à base de riz et l’alcool de riz, les croyances liées à cette céréale, les écosystèmes aquatiques de la rizière et à leurs organismes vivants, ainsi qu’aux représentations des hommes et femmes asiatiques vues d’un point de vue occidentalisé. J’ai collecté des verres à saké que j’ai réparé en remplaçant les images de nu·es par les images collectées. Ces verres réparés deviennent des témoins résistants, reflétant une mémoire recomposée qui interroge l’effacement des corps et des récits. »
 
Prune Phi

Ce projet photographique, primé et produit par Les Ateliers Vortex et le musée Nicéphore Niépce, s'inscrit dans le cadre de neuvième édition du Prix Impression photographique soutenu par la Région Bourgogne-Franche-Comté.

musée Nicéphore Niépce
28, Quai des Messageries
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